Les photos sont de Sarra Dickinson
Antarctique, voyage,
champignons et philosophie,
Le plus beau, le plus envoutant, l’angoissant d’un long
voyage est son commencement. Et comment ne pas voir en un départ réussit,
l’égide de dieux favorables, le présage bienheureux de la réalisation des rêves
du voyageur. Toujours, pour un bateau, autant pour un avion ou une caravane, le
problème est de survivre, de passer, d’y arriver, de simplement survivre en
réalisant un bon départ, idée qui dés la première molécule ancestrale a présidé
à l’expansion surréaliste et rocambolesque du vivant.
En nulle autre source que celle de conjurer les mauvais
esprits, la malchance maudite, le danger et le doute, ne doit se chercher
l’explication de la maniaquerie abusive d’un capitaine, de la psychorigidité
des voyageurs en général, des montagnards, lorsqu’ils préparent leurs sacs et
paquetages comme si leur vie en dépendait. Un départ important, des adieux
émouvants, une transatlantique, un désert traversé, sont surement les rares
évènements dans la vie d’un humain moderne qui lui permette d’échapper à sa
condition de sous produit industrialisé dédié à l’enrichissement des chefs de
la société des hommes ; à l’harmonisation économique planifiée qui décide
qui ferra quoi, ou, comment, et dans quelles structures familiales, sociales,
urbaines : l’homme doit vivre pour assurer le bien être de la société. La
liberté n’existe pas, seule la contrainte est modulable, de la dictature à la
démocratie relative, l’homme a le choix de sa prison.
Un départ, c’est une
chose gratuite, spirituellement et
affectivement, on part pour découvrir autre chose, un acte anticapitaliste, un
investissement de temps et de moyens à but inutile, sans retour sur
investissement, sans amortissement immédiat, quelque chose que l’on fait pour
soi ou sa famille à la recherche d’un on ne sait quoi de différent, de nouveau.
Si les compagnies d’avions et de voyages ne s’engraissaient pas avec ça, ce nomadisme
indécent serait interdit pour immoral et antidémocratique, tout simplement. Un
départ, c est un crachat à la face de la vie sédentaire, castratrice et
possessive, un chant d’amour à l’aventure et à l’immensité du monde, un désir
de jouissance jeune et libre : la vie. Un départ c’est tout ça et plus
encore. Presque un mode de vie.
Des le port, l’aéroport, la gare, la mort du voyage guette,
un sac oublié, des papiers disparus, de l’argent volé, et le rêve éveillé
s’envole, l’homme transcendé vivant, est retransformé en reptile rampant de la
société humaine. La malchance a frappé, l’heure et la vitesse de libération
n’était pas au rendez vous, le mouton retourne dans son parc avec le troupeau.
Si les amarres sont lâchées, si l’avion décolle, si le bus démarre, on est
sauvé de l’échec. Si court sera-t-il, le voyage aura eut lieu, l’honneur, la
face, le rêve sont sauvés : on est parti. La peur a été vaincue, on peut
finir noyé dans l’Atlantique sud attaché à son siège d’airbus ou dans son ciré,
on restera aimable avec son voisin et son compagnon d’aventure, on est parti.
Alors qu’on aurait tué une heure avant, pour gagner une place, et entrer dans
la bétaillère s’assoir.
Ainsi la quête effrénée des drogués du voyage commence,
enfin un univers qui bouge, qui change, qui n’a de statique que le peu que l’on
transporte avec soi. Echappatoire touristique pour certains, mode de vie
nomades pour les autres, ils sont la rédemption du génocide des peuples
migrateurs, les résurgences de peuples de tribus dédiés au voyage, au commerce,
à la nouveauté et à la découverte d’antan, aujourd’hui peuples mis à mal,
décimés, incarcérés dans l’idéologie du dieu dollar. Les mohicans, les uns
derrière les autres fuient un par un vers le pays de leur rêve, pour un temps
ou pour toujours à la recherche de leur destin.
Pourtant la liberté
n’existe plus ici bas, et chaque pèlerin est à la merci des contrôleurs de tous
les poils et de toutes les formes que la perversité des pays invente pour
occuper ses bons à rien, ses immobiles. Ainsi sache bel oiseau qu’un quelconque
douanier, un flic de l’air et des frontières, si bêtes et si obtus soit-il, déteint
le pouvoir de t’arrêter, de te taxer, et de te coller des culpabilités
jusqu’alors ignoré de toi et des dieux. Car libre tu n’es pas voyageur !
Ton rêve de voyage, de grand espace, d’immensité, on la te la taxer, te le
voler, te le détourner, par la taxe, le permis, l’autorisation mille fois
refusé, la contrainte de déplacement pour qui te prend donc tu voyageur ?
Et si tout le monde se mettait donc à faire comme toi, à partir ainsi, à
découvrir les autres, mais que deviendrais nos frontières, nos lois, nos
règles ?
Salauds ! Bon à rien assermentés ! Combien
d’heures et de nuits nous avez-vous donc volés à nous examiner, à nous
tourmenter de questions et de règlements, à essayer de voler nos bateaux, nos
ailes, nos vies, hein ? Combien ? Réjouissez vous maigres
charognards, souriez ! Vous rirez moins de nuit, dans les ruelles obscures
des bouges portuaires qui sont nos antres, lorsque l’ivresse meurtrière des
alcools frelatés aura changé les brebis en lions, tremble alors sous ton képi
minable, agrippe ton flingue dérisoire, mais surtout court, cache toi avant que
ne t’étrangle nos grosses mains de marins revanchards. Crève suppôt du rien
assermenté nous on part en mer !
Vers et pour l’Antarctique ! Paradis ultime du monde
sauvage, des glaces éternelles empilés jusqu’au ciel par des artistes dieux.
La vitesse de libération vient avec le Drake ! Le Drake
ultime spiritualité païenne, dernier djin à exercer un pouvoir effectif sur
terre, dernier élémental à résister aux hommes. Nous avons fuis et pour
quelques jours et semaines loin des contraintes humaines, dans un pays sauvage
au contour flou de glace et de tempêtes, et l’on va y être bien, sans
douaniers, ni poulets, juste la folie du monde, de ce monde merveilleux qui sur
une distance de 500 milles nautiques vous fait changer de climat, de planète.
Marins, gitans méprisés par la loi à terre, nous voila seigneur, prêtres du
culte du grand large, du plus majestueux grand large celui du sud. Le Drake
garde un monde protégé et ses portes sont redoutés de tous : au nord le
Cap-Horn, celui avec qui l’on ne triche jamais qui nous adoube à chaque passage
qui nous tuera un jour peut-être. Au sud, les Shetlands un amour d’archipel de
glace et de pierres sur le haut fond duquel vient mourir en gerbes d’apocalypse
les houles du grand sud. Un immense repaire d’animaux libres et sauvages pour
un temps à l’abri de la connerie humaine.
Alors va y marin arrête de causer et mène nous y
là-bas : l’autre monde encore libre et fier et ne te plante pas car nos
vies sont entre tes mains. Le temps n’est plus à la parlote, mais à la
clairvoyance, à l’action, à l’assurance. Méprise ton corps marin, son mal de
mer et ses plaintes. Insulte tes douleurs et monte au charbon, appelle la
folie, convoque les démons de l’inutile et du rien, mais vainc !
Gagne ! Change de monde ! Coûte que coûte ! Ecoute la mer et ses
délires, scrute là et voit ! Le growler pervers, la vague scélérate, le
récif oublié. Souffre dans le Drake marin, froid ? Pas même droit, souffle
sur tes doigts gelés et continue sans t’arrêter. Voit pauvre type la lame
submergée ton travail de fourmis sur sa brindille, affale donc cette voilure
rétive avant qu’elle ne rompe et ne te trompe, rigole avec ton ami de la mort
et du vent, mais prend toi y à l’avance et souvient toi marin, tu appartiens au
bateau. Le bateau ! A qui tu te dédies marin, le canot, et pas autre
chose. Le canot au large est tout plus le reste. Mais plus que tout
profite !! Amuse-toi ! Tu es libre et guerrier, chante la guerre dans
la bataille de la grande houle, profite tant que la force est là, qui partira
bientôt, trop tôt, elle est si éphémère.
Tu as ta vitesse de libération petit tu l’as ! A toi
désormais la beauté éternelle, l’émotion des glaciers millénaires, leur beauté
éternelle, a toi, les baleines joueuses, les phoques lymphatiques, l’orque
inquiétant et le skua cruel. Plus rien ne t’arrêteras, tu plongeras chercher
l’amour de la femelle léopard dans ces eaux cruelles et tu la trouveras. Le
préféré de son harem tu deviendras et ses crocs sur ton cou, son sexe
frémissant, ses désirs de tueuses, te donneront une extase chaste qu’aucunes
humaines ne te donnera jamais.
Le froid sera ton armure, et protégé par lui, tu trouveras
la baleine endormit, enlacé tendrement à son bébé géant. Et elle te sourira,
jouera de ton chétif esquif avant de s’en aller loin de tes yeux ébahis. Alors
la nuit, ivre de force et de puissance, pieds et torses nus dans le gel de la
neige, tu pleureras de joie sous la nuit éternelle.
Puis ce sera le retour, une autre lutte, plus dure encore
pour retourner, contre le vent, contre la mer avec en prime au bout l’embuscade
Cap-Horn qu’il faudra bien négocier, lui l’invincible gardien du monde des
glaces. Mille après mille, heure après heure, et jusqu’à la dernière, ta
vigilance sera le guide du retour des enfers. Et après la victoire, tu
connaitras la défaite, ta magie happée comme par une goule, par une ville, par
le bruit, par la conformité, ta puissance tarit devant un bureau de douane, ta
fatigue éveillé par la médiocrité de vivre. Rien n’aura changé, la bête immonde
dans son ventre mou de violence et de lâcheté se repaitra du monde, chaque jour
un peu plus, et toi impuissant et con tu rejoindras le troupeau, ne sachant ou
aller, grégaire et instinctif comme tout un chacun.
C’est comme ça qu’allah est grand.
Gilles
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