Il est absolument étonnant comme la vie peut être
mutine. On peut passer des années dans le doute et l’irréel de ses aspirations
profondes, surtout lorsqu’elles sont contraires aux vérités morales de ce
monde ; être malmenée par son cœur qui jamais n’arrive à se décider sur
les bons chemins qu’il doit nous faire parcourir bon an mal an, avoir
l’impression à vingt cinq ans d’avoir perdu tout son temps et son bon sens sur
les voies rebattues de la conformité, de se voir vieille, aigrie, sans encore
un poil blanc sur le corps : on se dessèche ; on rêve alors d’être
sauvée, révélée, réveillée à l’amour et à cette vie fabuleuse dont nous
disposons, comme ça, par le hasard des rencontres, par l’unique chance de vivre
ici bas. Et on souhaite tant que tout cela ne soit pas vain : que vivre
ait un sens.
Je m’appelle Claude, Claude Mancetti et je suis
avocate. Depuis peu en fait. Je suis née dans ce que l’on peut appeler un
quartier doré. Mon éducation est une réussite ; aucun traumatisme dû à
l’alcoolisme ou la violence de mes parents, une alimentation irréprochable, des
stimuli intellectuels toujours parfaitement en adéquation avec la psycho
pédiatrie á la mode. Un modèle du genre. Je suis l’archétype de l’élite
scolaire et bourgeoise française. J’ai été amoureuse d’un père rigide au bon
âge, fait ma crise contre ma mère, peu de temps après mes premières règles, je
suis presque parfaite.
De brillantes études secondaires, réalisées dans
de grands lycées privés, m’ont ouvert la voie des grandes écoles. Finalement,
la plus grande de science économique et sociale à Paris fut le réceptacle de
mes efforts.
C’est une école formidable. Comme dans tous les
lieux de ce genre, le plus dur est derrière vous. Vous avez Franchi brillamment
toutes les barrières imaginées par vos aînés pour vous éprouver, résisté à
l’horreur des prépas, où l’on met votre intellect dans un camp
concentrationnaire, pour définitivement le priver de son autonomie ; vous
avez accepté les formatages les plus astreignants, bref, on vous a ouvert
l’esprit : vous voilà acceptée par l’élite dont vous êtes génétiquement issue,
la boucle est bouclée.
Il ne vous reste plus qu’à vous reproduire….. C’est en partie là que le bat
blesse, ce genre de jeunesse de merde, à mon sens, est parfaitement
castratrice.
Car dans la perfection, le problème est l’ennui.
Et mon esprit s’est ennuyé à mourir. Oh pas les dernières années à
l’école ! Ces lieux ne sont que des immenses lupanars bisexuels pour fils
et filles à papa,- il faut bien laisser
une plage de détente aux bagnards entre les études forcenées dont ils sortent,
et leur destin de haut cadre ou fonctionnaire dans
lequel ils seront pressurés jusqu’à la pulpe, - mais l’ennui a envahi toute mon enfance, où
j’ai revêtu l’image de l’enfant totale et équilibrée. J’ai passé tout ce temps,
dans ces écoles de cathos pleines de bien pensants, à vivre mentalement comme
un terroriste, à les imaginer exploser tous de mille manières perverses.
Ayant excellemment reçu mon diplôme de science
sociale, je me suis présentée au concours d’avocat. C’est une belle carrière
que celle d’avocat, le bavard, l’ultime défenseur de celui qui risque sa
liberté sur le banc des prétoires.
Ma famille, mes amis, ont applaudi ; certes,
ils ont bien trouvé étrange que je ne me spécialise pas dans une activité
purement commerciale, qui m’aurait
permis, par le biais de l’international, de
mettre en pratique toutes les relations auxquelles mes origines familiales
doivent me faire prétendre. Mais l’on peut bien, à un brave mouton qui a trimé
durant les vingt cinq premières années de sa vie pour rentrer totalement dans
le moule, accorder quelques soubresauts d’indépendance intellectuelle, au
moment où il sort de sa prison dorée, pour revêtir le harnais productiviste
auquel il a été si soigneusement préparé.
J’ai gagné mon titre professionnel depuis quelques
mois. Avec mes petites copines, toutes des poulettes de luxe avec qui je joue à
la poupée depuis que je fais partie de l’élite, nous avons fêté ça dans des
orgies de luxure. On a énormément rigolé. Rigoler, c’est tout ce qui nous reste
pour oublier que les rails sur lesquels on nous a installés ne sont pas
démontables, et ne changent jamais de destin. On compte sur nous.
Je me suis toujours demandé quel effet cela devait
faire de n’avoir rien de tout cela ; ni parents attentifs et exigeants,
qui vous mettent leur amour en pression pour vous voir, - réussir, - mot cent
fois sacré de la bourgeoisie contente d’elle ; ni la conscience
d’appartenir à une caste, et donc, dans une certaine mesure, de disposer de la liberté
dans ce qu’elle a de plus magique : l’ignorance de la finalité de vivre.
C’est en partie pour cela que j’ai choisi ce métier. Il me parait
indéniable, que même si la majorité des gens qui ont des ennuis avec la justice
sont des membres à part entière de la société, il en est parmi eux, qui
disposant de la formidable liberté d’action que procure l’ignorance du monde
qui les contrôle, foncent dedans et l’affrontent.
J’ai toujours senti confusément que si j’arrivais
à défendre un individu de ce genre, même un seul, je résoudrais beaucoup de
choses en moi ; pourrais-je alors me réaliser ? Me libérer ? Et
éprouver mes sentiments sans contrainte, sans culpabilité? Je ne sais en
fait.
J’aime à imaginer, que je pourrais alors comprendre ce que veut dire le mot
abandon, dans ce qu’il a d’immense. Je voudrais voir si une femme, ou homme,
ainsi créé à partir de rien, lâché dès
la naissance par tout et tous, et qui aurait eu la force de caractère pour
s’inventer une vie hors du commun,
pourrait me guider vers les portes de ce pays inconnu nommé liberté, et
qui toujours m’a opposé à ses délices, des barrières fermement
assujetties.
Je ne fais pas partie de ces femmes qui adorent la
masculinité au point de s’en rendre servile. Loin s’en faut. Je crois aimer, et
dans tous les cas, je prends un immense plaisir charnel, avec un bel
hermaphrodite aux cheveux courts, aux petits seins fermes et tout timides,
perchées qu’ils sont en dessus de pectoraux de garçon ; et juste en
dessous, humiliées par des abdominaux, dont je peux compter les carrés de
chocolat en les dégustant, un à un, dans la splendeur de leur fermeté.
Je n’ai jamais bien compris comment les femmes ont
à ce point pu être dominées, durant autant de siècles, et dans autant
d’endroits en ce monde, par de barbares crétins dont les dispositions
intellectuelles majeures étaient leurs queues et leurs armes.
Comment se
peut-il que deux caractéristiques humaines aussi minables aient pu dominer le
monde autant de temps et perdurer toujours ?
Comment
imaginer que des êtres qui en général ne savent utiliser correctement qu’une
seule de ces deux compétences, aient accédé au statut de dominant supérieur,
détruit pratiquement le monde sauvage, asservi par le machisme et sa servante,
la religion, les femmes, les animaux, et pour finir la planète entière ?
Tout cela dans un unique et vain besoin de conquête et de domination ?
Bref, je n’aime pas les hommes ou du moins pas
ceux qui incarnent la masculinité arrogante. Leur morgue imbécile et
injustifiée, leur agressivité récurrente même quand ils croient faire l’amour
me dégoutte. Leur médiocrité viscérale, doublée de leur certitude d’être tout
pour leur femme, trop contente de pouvoir remplir ses trous de leur présence,
me désespère.
La femme asservie ou non à la maternité, n’a qu’un moteur, le désir
sincère, et un but, l’harmonie ; ces deux choses, elle les trouvera bien
plus sûrement chez l’une de ces semblables, que chez les males obsédés du cul
sensés leur apporter le bonheur.
Quant au fameux plaisir de la pénétration, les
mains d’une maîtresse expérimentée, ne seront qu’exceptionnellement
concurrencées par des attributs masculins souvent sous dimensionnés, quoiqu’en
pense leurs orgueilleux propriétaires, et plus fréquemment encore, mal
utilisés…
Pourtant, c’est bien dans l’intimité d’un homme que mon travail allait me
mener à pénétrer…. J’avais bien tenté de me spécialiser dans la détention
féminine, mais l’on ne devient pas avocat des femmes, comme l’on devient avocat
des affaires. Le sexisme dans notre société est à sens unique.
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